Plaies à pænser

" Il resta là, étendu, immobile,- car il était incapable de bouger,- les yeux fixés sur le plafond. Il avait la sensation de flotter sur l’air, de n’être plus supporté, de n’être plus solide; cette sensation n’était pas désagréable. C’est pourquoi il se refusa d’y laisser appesantir son esprit; il ne voulait penser à rien qui ne fût douloureux, odieux, horrible. Il songea à la torture qui venait de lui être infligée, et à l’injustice monstrueuse dont il était victime. Il songea aux millions de gens qui avaient été, et étaient encore, massacrés dans la guerre; il songea à leurs souffrances, à leurs innombrables souffrances séparées; à ces douleurs incommunicables, individuelles, hors d’atteinte de la sympathie; à des infinités de douleurs enserrées dans des corps frêles et finis; aux douleurs dénuées de toute signification et de tout objet, n’apportant avec elle nul espoir et nulle rédemption, futiles, non nécessaires, stupides. En un instant suprême et révélateur, il vît, il sentit l’univers dans toute son horreur."

Extrait d’Histoire bouffonne de Richard Greenow d’Aldous Huxley.

Nouvelle tirée de Dépouilles mortelles. Traduction de Jules Castier (1946). 

Collection Fenêtres sur le monde (n° VII). Editions de la Jeune Parque. 1947.

 Octobre 2018, Centre de Santé Elsa Rustin, Bagnolet (93)

Septembre 2015, La Nouvelle Galerie, Jambles (71)